Fils d’étudiants en médecine qui travaillaient et qui faisaient du volontariat en Afrique au milieu des années 1980, Thomas Crowther a passé son premier anniversaire à faire du camping au milieu du désert du Sahara. C’était un signe avant-coureur d’une carrière dans le domaine de l’écologie et de la biodiversité. Comme il l’indique : « Je n’ai jamais réfléchi sur ce que j’allais faire dans la vie. Et même si je ne pensais pas devenir professeur, j’ai toujours su que mon métier serait dans un domaine lié à la nature ».
Après ses études postdoctorales à Yale, ses recherches ont porté sur l’estimation du nombre d’arbres sur Terre et sur la cartographie de la distribution des organismes du sol, tout menant d’importantes actions de conservation telles que la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, dont le but était de prouver notre forte dépendance à l’égard de la nature.
Tom est également le fondateur de [Restor] (https://restor.eco/fr/?lat=26&lng=14.23&zoom=3), une plateforme en ligne qui soutient des milliers de projets de restauration menés par des communautés, dans le monde entier et qui, en 2021, a été finaliste du prix Earthshot de la Royal Foundation, pour avoir fourni des perspectives écologiques, une transparence et une connectivité pour des efforts de conservation et de restauration dans le monde entier. M. Crowther a été nommé « Young Global Leader » par le Forum économique mondial.
JEUNESSE
En grandissant, je ne me souviens pas d’un moment où la nature n’était pas mon obsession. Nous avions l’habitude de partir en vacances avec une famille française et, pendant que tous les enfants jouaient, je m'asseyais sur un mur et j’observais les lézards. Je me souviens avoir entendu la grand-mère de la famille française dire : « Mais qui cloche avec lui ? » et mon père de répondre avec colère : « Qu’est-ce que vous voulez dire par “Qu’est-ce qui cloche avec lui ?” Il s’amuse bien. Qu’est-ce qui cloche avec le reste d’entre nous ? Nous ne remarquons même pas la nature ! ».
J’ai étudié la zoologie à l’université, mais j’étais au fond de la classe, près du radiateur. Comme j’étais dyslexique, je détestais la lecture. Je n’y voyais qu’un milliard d’informations aléatoires. Un jour, alors que je chahutais en classe et que je jetais la casquette d’un ami entre les rangs, elle a atterri sur le projecteur. L’enseignant m’a mis à la porte, mais il m’a ensuite emmené au pub et m’a demandé : « Pourquoi tu te donnes la peine d’étudier si cela ne t’intéresse pas ? » j’ai répondu : « Oh, ça m’intéresse, seulement je n’y arrive pas. » Il m’a répondu : « Je vois bien que tu es intelligent, mais il faut que tu t’appliques. » Puis ’il m’a donné le meilleur conseil que l’on m’ait donné. Il m’a dit : « Tu n’as pas besoin de tout savoir sur le monde entier. Essaie de trouver ce qui te plaît et fais-le. Si tu aimes la nature et la biodiversité, fais-le. Si tu aimes les expériences, fais-les. » Et ce qui m’intéressait, c'était de m'amuser avec des insectes. On a donc commencé à faire de petites expériences avec des champignons et des insectes et leurs interactions dans des boîtes de Petri, et j’ai adoré. J’ai obtenu de bonnes notes pour mon diplôme et ce même professeur est devenu mon directeur de thèse. Il a été un mentor très important dans ma vie.
Pendant mes études à Yale, j’ai été victime d’un AVC. C'était très grave. J’ai cru que j’allais mourir. Mais se remettre d’une telle chose, ça donne une autre perspective et d’autres rêves. Je me suis senti moins contraint par mes propres angoisses ou par le syndrome de l’imposteur. Je me suis dit : « Je n’ai qu’une seule vie. Je vais me concentrer sur des questions importantes. » et j’ai commencé à faire de la recherche à une échelle mondiale, en transposant mes observations écologiques de ma boîte de Petri à l’échelle du monde. Nous avons commencé à modéliser la biodiversité mondiale – nous avons réalisé la première carte mondiale de la densité des arbres à travers le monde, ce qui a révélé que le monde comptait trois trillions d’arbres. Cela a été le premier grand moment médiatique de ma carrière de chercheur et cela a permis de mettre en place un cadre de recherche.
RECHERCHES
Alors que je postulais pour des postes de professeur, un professeur m’a invité à poser ma candidature à l’ETH Zürich. Je n’avais jamais entendu parler de cette université mais au bout d’une demi-heure de visite, j’ai été stupéfait. Je n’aurais jamais imaginé qu’un environnement de recherche puisse ressembler à cela. Il s’agit non seulement de la meilleure université en matière de publication dans mon domaine, mais elle est bien devant sa plus proche concurrence en matière de parution. Elle est incroyablement bien financée et dispose d'une infrastructure incroyable. Les limites de la recherche ne sont plus d’ordre financier – la seule limite est l’étendue de ses espoirs et de ses rêves – ce qui peut être un autre défi en soi !
En 2019, nous avons publié un article qui est devenu viral – c’était assez effrayant ! Cet article, basé sur des données issues de nos recherches à l’ETH Zürich, montrait que la nature était cruciale pour lutter contre le changement climatique – et qu’elle pouvait permettre d’atteindre un tiers de nos objectifs en termes de climat. Soudain, les médias en ont fait leurs gros titres et nous avons commencé à être contacté·es par des dizaines, puis des centaines… puis des milliers de personnes, d’agriculteurs, de communautés, qui nous demandaient toutes nos données sur la biodiversité. Il m’était impossible de répondre à tous ces courriels. Nous avons donc décidé de créer une plateforme appelée Restor où tout le monde pourrait accéder gratuitement à ces données. C’est comme Google Maps, mais à la place des cafés et des salons de coiffure, on peut dessiner les contours de son jardin et obtenir des données sur les espèces, le carbone et l’eau dans son quartier. Au fur et à mesure que les projets et les communautés se sont multipliés, le site est devenu bien plus qu’une simple plateforme de partage de données, il s’est transformé en plateforme de médias sociaux. Aujourd’hui, on peut zoomer et voir des centaines de milliers d’agriculteurs et de communautés indigènes, et même chaque arbre qui pousse. Google nous a aidés à le mettre en place, et c’est vraiment passionnant de voir comment la plateforme a pris son essor.
À PROPOS DE LA NATURE
La nature est un sujet tellement vaste autour duquel nous pouvons nous rassembler mais, de façon absurde, c’est celui qui a été laissé de côté : le mouvement pour le climat est en pleine expansion, mais l’intégrité écologique n’en représente qu’une toute petite partie. Ce n’est pas une représentation juste de la nature.
La nature, c’est tout. La nature est la seule chose qui nous ait permis de survivre sur la planète. La nature, c’est la source de toute inspiration et de toute création culturelle. C’est la source de tout. Elle devrait donc représenter absolument ce qui nous rassemble.
Je me suis donné comme mission dans la vie de prouver à tout le monde à quel point nous avons tous, grand besoin de la nature. Et c’est la meilleure mission qui soit, parce que toutes les données que j’ai générées, pointent toutes vers ce fait, de manière répétée. C’est très difficile de trouver un cas où la nature ne serait pas bénéfique à notre survie. Bien sûr, il est évident qu’il y a des compromis à faire ; par exemple, si on a une forêt entière et que l’on veut y faire de l’agriculture – mais dans de nombreux cas, déboiser complètement signifie que l’on ne pourra pas exploiter la terre de toute façon. On pense qu’il existe un compromis entre les humains et la nature. On a inventé cela au cours des cent dernières années. C’est une erreur grossière.
Nous devons élargir nos horizons, nos espoirs et nos attentes vers un avenir meilleur. Et c’est seulement comme cela que nous pourrons atteindre quelque chose de meilleur.
Si nous sommes pétri·es d’angoisse par l’état du monde, de la nature, de la biodiversité et du changement climatique, nos réactions évolutives les plus profondes sont la lutte ou la fuite. Soit nous nous détestons et nous nous attaquons les uns les autres, soit nous faisons l’autruche et nous nous évitons. Ni l’une ni l'autre de ces réactions immédiates ne nous aideront à relever ce défi.
Le changement climatique est en cours, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas bâtir un meilleur futur. Et que le changement climatique soit en cours ou non, je serais tout aussi motivé pour essayer d’améliorer l’avenir. Nous devons simplement nous assurer que les jeunes continuent à vivre ces rêves-là.
À PROPOS DE VILLARS
Le Villars Institute est une organisation unique. Je n’avais encore jamais rien vu de tel auparavant. C’est une plateforme pour le changement systémique, qui rassemble des communautés de toutes les générations et de toutes les disciplines. Et comme nous nous réunissons dans des lieux spectaculaires et magiques, nos esprits s’ouvrent déjà, avant même que nous ne partagions notre expérience collective. Il ne s’agit pas de nous inculquer des preuves, mais d’ouvrir un espace de dialogue sur notre lien collectif avec la nature.