« Regardez finement la nature et vous comprendrez tout mieux », selon une citation attribuée à Albert Einstein. C’est ainsi que le professeur Subra Suresh, scientifique et président du [Global Learning Council] (https://www.globallearningcouncil.org/), se tourne vers la nature pour y trouver des innovations véritablement spectaculaires.
C'est à Villars-sur-Ollon, dans les Alpes suisses, que M. Suresh a présenté les résultats de ses derniers travaux lors de la quatrième conférence qui a ouvert le Villars Institute symposium cette année.
Le symposium réunit nos partenaires, des universitaires et des entrepreneur·es éminent·es, ainsi que 152 Villars Fellows – une cohorte internationale de la génération Z qui commence son développement à long terme en tant que leaders systémiques. Ici, au sein d’un Villars palace restauré de façon artistique, un îlot de paix en marge du monde moderne où des philosophes, scientifiques et visionnaires peuvent s’arrêter pour réfléchir à ce que pourrait être l’avenir du monde – et à la manière d’y parvenir.
Pour Subra Suresh, président du Global Learning Council, lauréat de la médaille nationale de science et professeur émérite Vannevar Bush au MIT, la relation entre la nature et les technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle nous offre de puissantes opportunités.
La protection de la planète et l’IA sont souvent considérées comme des questions distinctes. M. Suresh estime toutefois que l’avenir dépend de la combinaison entre l’IA, la nature et la science. Comme il l’a fait remarquer, la prochaine étape de l’humanité réside dans le potentiel de l’IA, de la nature et de la science à collaborer de manière harmonieuse, en stimulant l’apprentissage et en développant notre capacité à répondre aux crises. « Grâce aux technologies de fabrication numérique, à l’intelligence artificielle, aux grands modèles de langage et à la puissance de l’informatique, il est désormais possible de créer des opportunités uniques pour comprendre la nature ou traduire en produits ce qu’elle fait sans effort ».
Au cours d’une conférence couvrant un large panel de thématiques allant du papier écologique produit à partir de pollen aux parapluies capables de prévoir la météo, l’optimisme et la grande curiosité professionnelle de M. Suresh pour l’avenir ont brillé. « Si l’on veut résoudre des problèmes complexes qui affectent la nature et l’humanité, on doit aller bien au-delà de sa propre discipline dans laquelle on a été profondément formé·e ». Découvrez ci-dessous les dix choses incroyables que nous avons apprises lors de cette conférence.
1. Il est possible de fabriquer du papier à partir de pollen
Des scientifiques ont découvert un moyen de transformer le pollen de tournesol résistant en un matériau mou, non allergène et à base d’azote, afin de fabriquer du papier. Ce matériau unique peut absorber et libérer de l’eau, changer d’aspect s’il est sec ou humide. Et, contrairement au papier traditionnel, il ne nécessite pas d’abattre des arbres (ou d’en faire pousser). Ce matériau innovant peut aider les industries à réduire leur consommation d’énergie jusqu’à 40% et aider les services postaux à développer des emballages de meilleure qualité et plus résistants aux intempéries.
2. La dionée attrape-mouches sait compter jusqu’à cinq
M. Suresh a mis en évidence les caractéristiques fascinantes de la dionée attrape-mouches, en particulier sa capacité à compter jusqu’à cinq lorsqu’un insecte se pose sur ses cils. Fait remarquable, mais la dionée peut faire la distinction entre les insectes proies et les pollinisateurs en ne se refermant qu'à l’aide d’un signal électrique seulement lorsque c’est nécessaire. Ce comportement a inspiré une expérience menée en Allemagne en 2016, au cours de laquelle des scientifiques ont découvert que l’anesthésie, qui arrête les signaux électriques dans le corps humain pendant une opération chirurgicale, produisait la même réaction chez la plante.
3. Les geckos ont inspiré toute une industrie de pâte adhésive
Une nouvelle génération de pâtes et rubans adhésifs réactifs est en cours de développement, inspirée par l’une des créatures les plus collantes de la nature : le gecko. Ces lézards agiles peuvent s’accrocher à des surfaces horizontales et verticales grâce aux micro, macro et nanostructures complexes de leurs pattes. En utilisant des spatules à l’échelle nanométrique, ils se cramponnent aux surfaces et peuvent les rétracter rapidement en cas de fuite. Cette nanotechnologie naturelle, utilisée par les geckos bien avant que les humains ne la découvrent, est aujourd’hui à l’origine de solutions adhésives innovantes.
4. Les formations de vol des oiseaux, économes en énergie, sont une source d’inspiration pour la NASA
Comme l’a expliqué M. Suresh , lorsque les oiseaux volent sur de longues distances, ils forment des motifs spécifiques et le vortex créé par les oiseaux de tête réduit l’énergie nécessaire aux oiseaux de queue. « Afin d’économiser de l’énergie, les oiseaux savent instinctivement comment former la forme géométrique la plus optimale pour de longs vols », a-t-il déclaré. Cet instinct d'aérodynamique naturelle aide les oiseaux à trouver les formes les plus efficaces pour les longs vols. Des organismes tels que la NASA et Boeing s’intéressent maintenant à ces formations naturelles pour rendre les avions plus légers et plus économes en carburant.
5. Il existe un parapluie qui peut prévoir le temps qu’il fera
« Est-il possible d’avoir un parapluie qui s’ouvre tout seul quand il sent la pluie ? » a demandé M. Suresh. Sa réponse ? Bien sûr ! Car dans la nature, « les végétaux le font tout le temps ». Une expérience récente, inspirée par le rhapis excelsa ou palmier bambou, a prouvé que là où va la nature, l’innovation suit. Les NTU et l’université d’Oxford ont collaboré pour créer un parapluie sensible à l’humidité, d’après les capacités de la plante. Ce parapluie s’ouvre et se replie en fonction des conditions environnementales, démontrant ainsi le potentiel du biomimétisme dans la technologie.
6. Il est possible de tordre un diamant
Bien qu’il soit la matière la plus dure au monde, le diamant est fragile : si on lui applique une force suffisante, il se déforme et finit par se fracturer. En s'inspirant des nanotechnologies présentes dans la nature, M. Suresh et son équipe ont mis au point des structures d’aiguilles de diamant capables de se « tordre », une avancée qui pourrait révolutionner la gestion thermale et l’industrie électronique.
7. l’IA peut aider à détecter un risque de cécité due au diabète
La rétinopathie diabétique, une conséquence du diabète affectant la rétine, peut entraîner une perte de vue si elle n’est pas traitée. Pourtant, l’apprentissage automatique pourrait jouer un rôle important dans la prédiction et le traitement efficace de cette maladie à l’avenir. M. Suresh imagine des dispositifs microfluidiques alimentés par l’IA et capables de diagnostiquer le diabète en analysant la vitesse et le mouvement des cellules dans le sang d’un patient. « En utilisant les simulations de l’IA et les données des patients dans ces images, on peut potentiellement diagnostiquer la gravité de la maladie ainsi que sa progression, et adapter les traitements aux antécédents médicaux particuliers d’un patient donné », a-t-il déclaré.
8. L’IA pourrait accélerer le diagnostic des maladies du sang héréditaires
Le potentiel de l’IA pour analyser des données médicales et prédire les résultats des maladies va devenir de plus en plus influent, en particulier pour celles qui touchent les globules rouges, telles que le paludisme, la drépanocytose ou l'elliptocytose familiale, maladies pour lesquelles un diagnostic rapide est crucial pour l’amélioration de la prise en charge du patient. En utilisant des simulations informatiques, l’IA peut améliorer notre compréhension de la forme des globules rouges et de leur importance dans le diagnostic et la prévention des maladies, faisant ainsi progresser les connaissances médicales et transformant potentiellement la manière dont ces troubles sont diagnostiqués et pris en charge.
9. Les percées scientifiques peuvent mettre des décennies avant d’être commercialisées
Bien que développé dans les années 1960, le GPS n’est devenu largement utilisé qu’avec l’essor des téléphones portables, dans les années 1990. Ce retard crucial pourrait bien s'avérer également pour la révolution de l'IA. « Il faut parfois des années pour qu’une technologie arrive à maturité avant que quelqu’un s’en empare et la commercialise », a-t-il fait remarquer. « On établit la science, on établit la découverte et ensuite il y a un saut quantique… mais cela peut parfois prendre 20 à 40 ans ».
10. Le financement de la recherche scientifique a un retour sur investissement sans pareil
Selon M. Suresh, la recherche universitaire a un retour sur investissement élevé, que ce soit en stimulant une innovation ou en transposant à une plus grande échelle les découvertes faites au cours de la recherche – mais un financement adéquat est essentiel. Pour illustrer son propos, M. Suresh a évoqué son rôle en tant qu’ancien directeur de la National Science Foundation (NSF) où il a contribué à la création du programme d’innovation de la NSF, il y a dix ans. Grâce à ce seul programme, conçu pour stimuler l’innovation et l’esprit d’entreprise, 2 700 entreprises ont été créées aux États-Unis, attirant un investissement stupéfiant de 4 milliards de dollars.
« Lorsque l’on se promène dans la nature, on reçoit bien plus que ce que l’on cherche », a déclaré le naturaliste américain John Muir. Ces mots prennent une résonance profonde si l’on considère les idées de M. Suresh. En approfondissant la relation symbiotique entre l’IA, la nature et la science, on peut entrevoir un avenir où l’innovation ne se contente pas de résoudre les problèmes actuels, mais s’harmonise avec le monde naturel pour créer des lendemains durables et meilleurs.
Cet article a commencé par une citation d’Einstein, concluons donc avec un autre aphorisme du plus grand physicien théorique du XXe siècle, qui a déclaré un jour : « La croissance intellectuelle devrait commencer à la naissance et ne cesser qu’à la mort ». La maxime d’Einstein ne résume pas seulement la mission du Global Learning Council,mais elle nous exhorte toutes et tous à regarder de plus près et à être plus curieuses et curieux du monde naturel incroyable qui nous entoure : l’extraordinaire numéro de la dionée attrape-mouches, la nanotechnologie innée des pattes des geckos, la formation en V, économe en énergie, d’un groupe d’oies en vol. Comme M. Suresh l’a souligné, l’alliance de nos connaissances de la nature et des dernières avancées technologiques constitue l’une des meilleures chances pour l’humanité de trouver de nouvelles solutions à la crise climatique et de parvenir à un avenir net-zéro. C’est ce que le Villars Institute, le Global Learning Council et tant d’autres s’efforcent actuellement de réaliser.