Le commerce international fait partie intégrante de notre monde interconnecté, permettant la circulation fluide des biens et des services que beaucoup d’entre nous considèrent comme acquise. Aujourd’hui, alors que nous sommes confronté.e.s à la menace existentielle du changement climatique, comment notre système commercial actuel peut-il être réimaginé afin d’assurer un avenir plus durable ?
Notre système commercial international a un impact sur presque tous les habitants de la planète et a permis à plus d’un milliard de personnes de sortir de la pauvreté. Ce système repose sur des accords commerciaux multilatéraux qui couvrent un large éventail d'activités économiques allant de l’agriculture aux normes industrielles. Pourtant, l'efficacité du système est remise en question sur deux fronts.
En premier lieu, la guerre en Ukraine, les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis (les deux plus grandes puissances économiques du monde) et la hausse des prix mondiaux du pétrole laissent présager une plus grande fragmentation géopolitique. En l’absence de consensus politique, le travail des principaux organismes commerciaux tels que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et le Centre du commerce international (ITC) sera de plus en plus difficile, en particulier en cas de récession mondiale.
En second lieu, le système commercial est resté relativement silencieux sur ce qu’il peut faire pour relever deux défis mondiaux qui menacent à la fois les moyens de subsistance des populations et la santé de la planète. La double crise du changement climatique et de la perte de la biodiversité ne manqueront pas de remodeler notre système commercial mondial. Les recherches montrent que l’homme a désormais franchi six des neuf « limites planétaires », c’est-à-dire les limites qui définissent un « espace de fonctionnement sûr»dans lequel l’humanité peut s’épanouir. Dans ce contexte, on s’accorde de plus en plus à penser que le système commercial actuel n’est pas à la hauteur de son potentiel dans le cadre de la recherche d’une croissance plus durable.
Comment faire du commerce une force au service du bien et exploiter son potentiel en tant que levier essentiel pour nous aider à atteindre les objectifs définis par le Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies (SDGs) ? Telles étaient les questions-clés posées à Villars, lors d’un sommet de haut niveau de trois jours sur la refonte du système de commerce international pour un avenir durable, organisé conjointement par le projet « Remaking Trade for a Sustainable Future » et le Villars Institute Foundation.
Pourquoi nous devons refaire du commerce un instrument de changement
Au fil du temps, notre système de commerce a évolué pour inclure des chaînes d’approvisionnement mondiales et un système complexe de règles et de règlements, tous conçus pour assurer la fluidité des flux de biens et de services à travers le monde.
Cependant, en adoptant une vision étroite et en se concentrant sur l’absence d’obstacles aux échanges commerciaux, nous avons négligé l’importance vitale de ces derniers pour contribuer à construire un avenir plus durable et plus équitable. En repensant le commerce, nous avons une occasion cruciale de libérer son potentiel pour relever les défis les plus pressants de notre époque : lutter contre le réchauffement climatique et les émissions nocives de gaz à effet de serre (GES), trouver des moyens pour que l’humanité vive à l’intérieur des neuf limites planétaires et bâtir un avenir plus inclusif équitable et centré sur l’être humain.
Des problèmes aussi complexes et interconnectés exigent une pensée systémique. Le commerce n’existe pas de manière isolée et aucun pays ou organisation ne peut faire ce travail seul. Un changement significatif nécessite une nouvelle approche qui encouragera les gens à collaborer entre les disciplines et à prendre en compte le plus grand nombre de voix pour construire un système commercial adapté au XXIe siècle.
Une nouvelle approche : le cadre Villars
Sous les auspices du Villars Institute, le projet « Remaking Global Trade for a Sustainable Future » a proposé une série de recommandations : le cadre Villars pour un système commercial durable. Le sommet de trois jours qui s’est tenu à Villars a amené des dirigeant.e.s, des décideurs.euses politiques et de jeunes gens talentueux à partager leurs idées sur la manière de revitaliser le système commercial pour le rendre plus durable, plus axé sur l’être humain, plus efficace, plus inclusif, plus transparent et plus numérique. Le rapport intégral est disponible ici. Nous avons souligné ci-dessous trois des principales recommandations nécessaires pour accélérer la transition vers une économie mondiale nette zéro et positive pour la nature.
L’une des principales conclusions du cadre Villars est la nécessité de s'engager à réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le commerce international d’ici à 2050. L’objectif est de faire en sorte que toute entreprise engagée dans le commerce transfrontalier parvienne à un niveau net zéro sur l’ensemble de sa chaîne de valeur, depuis les matières premières jusqu’à l'utilisation et l'élimination en passant par la production, l’expédition et la distribution.
Une autre recommandation ambitieuse porte sur l’adoption de bases pour des mécanismes d’ajustements aux frontières rigoureux et fondés sur des données scientifiques. Ces orientations visent à relever un défi mondial crucial : comment internaliser les externalités environnementales négatives, en veillant à ce que les entités dont l’activité commerciale a un impact négatif sur la planète intègrent ces coûts dans leur comptabilité interne. Ces mesures ont une incidence sur tous les éléments, de la mesure des émissions de GES intégrées et de l’évaluation de l’équivalence des politiques climatiques aux nouveaux mécanismes visant à garantir l’équité dans la transition vers un avenir énergétique propre.
Le cadre Villars propose également une restructuration des subventions de l’OMC : il ne s’agit plus de déterminer si les subventions faussent le commerce mais de mettre en place un système de subventions qui contribue aux objectifs de développement durable. En parallèle, de nouveaux modes de négociation reflétant la nature des biens publics mondiaux – au-delà d’une approche purement mercantiliste – contribueraient également à faciliter un changement de paradigme dans les relations commerciales.
Un système commercial repensé autour des ODD devrait également inclure un processus plus inclusif de définition de normes de durabilité communes pour les biens échangés et envisager une initiative sur les « biens durables » qui aiderait à ouvrir la voie aux chaînes d’approvisionnement vertes et résilientes de l’avenir. Des mesures visant à garantir que les pays en développement puissent aussi prospérer dans un système commercial orienté vers le développement durable sont également essentielles si l’on veut que tous et toutes profitent des avantages de notre futur système commercial.
Une occasion sans précédent pour le leadership systémique
Pour des millions de personnes, la mondialisation du commerce a conduit à une plus grande prospérité. Pourtant, pour beaucoup, il n’a pas tenu ses promesses et tant que moteur d’une croissance durable, inclusive et équitable. Nous avons besoin d’un leadership systémique. En suscitant les bonnes conversations dans un esprit de collaboration unique, le cadre Villars inspire de nouvelles perspectives et une pensée systémique. Grâce à cette initiative ambitieuse, nous pouvons transformer les défis en opportunités et réimaginer le système commercial en plaçant la durabilité en son cœur.